Journal intime d’un raveur alsacien

Les jeunes et moins jeunes strasbourgeoises et strasbourgeois ont l’embarras du choix pour leurs sorties du week-end. Tandis que le commun des étudiants se pressent vers les bars du centre-ville avant la traditionnelle virée au Café des Anges ou à la Salamandre, un petit groupe de teufeurs se préparent à passer un week-end moins académique…

Ce petit groupe, ce sont mes amis et moi. Nous avons découvert l’univers des Free party il y a quelques années. C’était pour nous un nouveau moyen de faire la fête, sans se ruiner et sans avoir à s’habiller comme pour un entretien d’embauche. Nous nous retrouvons donc ce soir-là après le travail, pour le before dans un appartement du centre-ville. Jusque-là, le schéma classique d’un début de soirée strasbourgeoise…

À une différence près : nous attendons « l’info ».

Cette info, c’est le sésame qui circule entre initiés du milieu et qui nous indiquera le chemin vers le lieu tenu secret de la fête. Pour l’instant, nous savons juste que la teuf aura lieu dans le Nord-Est de la France. Vers 20h, le précieux SMS indiquant la position géographique précise fait vibrer le téléphone de mon pote. Le SMS précise aussi : ramasse tes potes et surveille tes déchets. Aujourd’hui nous avons de la chance : la FREE est localisée à moins de 50km de Strasbourg, direction la Lorraine. Le conducteur est désigné en fonction de nos états respectifs afin d’arriver en toute sécurité sur place.

Au bout d’une petite heure de route, nous apercevons les premiers camions et entendons le grondement sourd d’une techno cadencée. Nous nous joignons au convoi de voitures montant le petit chemin boueux qui mène jusqu’à la chouille. Quelques mètres avant la clairière qui servira de parking aux centaines de voitures et camions attendus sur place, nous croisons les organisateurs à qui nous donnons la PAF. Cette participation peut être à hauteur de quelques euros, un peu de tabac, une bière ou toute autre monnaie d’échange leur permettant de passer une bonne soirée.

L’entrée ne sera refusée à personne, même sans participation.

À peine sortis de la voiture, nous sommes accostés par nombre de jeunes proposant toutes sortes de produits permettant de tenir les prochaines 48h à danser sans s’arrêter, ou tout simplement à se défoncer. Étant tous expérimentateurs occasionnels, nous commençons notre marché. Ce soir nous recherchons du LSD, puissant hallucinogène aux effets pouvant durer jusqu’à 24h. Pour 10 euros par personne, nous nous procurons des gouttes du célèbre acide développé par Albert Hoffmann le siècle dernier.

Nous ingérons le produit qui mettra plusieurs heures avant d’atteindre le plein effet… En attendant, nous découvrons les lieux : l’endroit est accueillant, les gens sont extrêmement communicatifs et chacun semble se connaître depuis toujours. Les teufeurs sont issus de tous les milieux : beaucoup sont habillés en treillis et grosses chaussures permettant d’affronter les conditions parfois rudes. Nous croisons des étudiants, des travailleurs, ou encore des personnes qui ont dédié leur vie aux Raves.

Mais ici, ces différences n’existent pas.

Nous sommes tous réunis sur une ligne de basse à 180 BPM pour profiter ensemble d’un week-end hors du temps. Nous, nous allons devant le « mur » : cette façade de caissons développant 50kW émet une basse puissante qui est ressentie dans tout le corps. Ce son envoûtant est à la fois d’une extrême violence et doux comme une caresse. En effet, les mélodies et samples harmonieux s’intègrent parfaitement avec le puissant kick-bass qui fait galoper cette Tribe pour le plus grand bonheur de la foule qui tape du pied en rythme avec la musique.

Les premiers effets de la drogue se font sentir.

Une incroyable euphorie nous accompagne et tout le groupe est pris de fous rires incontrôlables. À ce moment-là, nous ressentons tous un profond sentiment d’unité qui nous lie encore plus les uns aux autres. Les distorsions visuelles et auditives nous plongent dans un univers où tout est remis en question, les problèmes de la vie courante nous paraissent à présent futiles. Ce qui compte, c’est de profiter du moment présent entourés de personnes partageant la même symbiose.

Le petit groupe se dissout rapidement et chacun part à la rencontre des participants, partout où je vais je suis accueilli à bras ouverts. Que tu aies besoin d’un peu d’eau, d’une cigarette ou tout simplement de discuter, les teufeurs auront plaisir à t’aider. Ici, le sentiment de communauté est très fort et l’unité qui règne permet d’avoir l’impression de faire partie d’un grand tout. Les discussions sont très variées, du quotidien aux grandes discussions philosophiques sur notre place dans l’univers.

Le jour se lève en ce samedi matin froid et ensoleillé.

C’est mon moment préféré du week-end, le lever de soleil magnifique éclaire les visages souriants qui étaient jusque-là difficiles à distinguer. Un groupe m’offre un café fait au feu de bois dans une casserole cabossée, l’un des meilleurs que j’ai pu boire. Je me dirige à nouveau vers le son accompagné de mes nouveaux amis dont je ne connais même pas les noms. Nous profitons de la psytrance du petit matin qui nous plonge dans un état quasi-méditatif, tout en restant hyperactifs.

C’est à ce moment-là que je retrouve le groupe avec lequel je suis venu 12 heures auparavant. Les retrouvailles sont fortes en émotion et les deux groupes se mêlent dans la bonne humeur. Nous nous dirigeons vers midi vers le parking pour faire le plein de nos bouteilles et reprendre un peu nos esprits. Nos déplacements sont rythmés par les rencontres faites en chemin, et un trajet de quelques mètres peut prendre plusieurs heures en fonction des personnes croisées en route.

Nous nous posons enfin dans un canapé, dans un camion où nous reprenons des forces.

On nous propose du speed, une pâte d’amphétamines bon marché bien connue pour relancer les corps fatigués. Certains font bouillir de la kétamine liquide dans une poêle pour en extraire le produit solide, d’autres vendent au prix de 1 euro des ballons gonflés au protoxyde d’azote, un gaz connu pour ces propriétés hilarantes et anesthésiantes.

Pour moi ce ne sera rien de supplémentaire : les effets du LSD sont toujours bien présents et les hallucinations visuelles persistent. Mes amis optent pour de l’ecstasy et du speed et atteignent rapidement un état d’euphorie intense. Ces drogues inhibent totalement la timidité et donnent un envie irrépressible de se rapprocher des autres. Nous avons donc le droit aux grandes déclarations d’amitié accompagnés de câlins et de bagarres amicales sur le sol rendu boueux par les piétinements incessants.

Ces moments, bien que pouvant être perçus comme artificiels, me paraissent hors du temps et totalement déconnectés de la vie quotidienne. Et c’est effectivement ça que nous sommes venus chercher : des rapports sociaux simples et sans filtres, en toute honnêteté. Nous venons en teuf pour nous couper d’un quotidien qui nous éloigne parfois de notre vraie nature.

Car quand on y réfléchit : de quoi avons-nous vraiment besoin ?

Chacun trouvera sa propre réponse à cette question mais ce qui est sûr, c’est qu’à ce moment présent nous n’avons besoin de rien de plus que des amis et d’un endroit en pleine nature où personne ne se permettra de juger. Un endroit où les gens sont juste là pour profiter d’un moment sur une autre planète, à des millions d’années-lumière de l’ambiance feutrée d’un bureau ou du côté surfait et coincé d’une boîte de nuit.

Nous n’avons pas besoin de la drogue pour partager ces moments, c’est vrai, mais c’est un catalyseur qui permet de réfléchir sur soi et sur les autres, un moyen de déconnecter complètement et de faire le vide. Mais ce vaisseau spatial doit toujours revenir sur terre, et, à mon sens, le principal c’est de savoir se poser sans dégâts pour recommencer une semaine saine avec un regard neuf sur le monde qui nous entoure.

Après une courte sieste, je reprends la fête jusqu’au dimanche après-midi. La Rave bat toujours son plein, les silhouettes devant les caissons ressemblent à une armée de zombies infatigables, prêts à bouffer de la techno jusqu’à la mort.

C’est ici que commence à apparaître les limites de la teuf.

Certains visages sont marqués par la drogue, les gens dorment un peu partout, pas forcément couverts. Nous nous efforçons d’aider ceux qui en ont besoin, mais nous voyons la déchéance dans le regard de certains teufeurs.

C’est pour nous le moment de rentrer : nous venons d’avoir le feu vert des orgas qui nous indiquent une fenêtre de passage dans laquelle les forces de l’ogre ne seront pas présentes à la sortie du chemin. Nous désignons encore le conducteur qui paraît le plus apte, cette fois ce sera mon tour. Une légère appréhension me traverse en mettant le contact mais la route se déroule dans la bonne humeur et sans encombres.

Nous débriefons sur la soirée dans l’appart du before, avant de rentrer chacun chez soi vers 20h le dimanche, 48h après le départ.

Nous garderons tous des souvenirs inoubliables de la fête, en étant conscients des risques que nous avons pris.

Le lundi matin, au bureau, les collègues me demanderont : tu as passé un bon week-end ? Je n’ai jamais su comment répondre à cette question tant ils sont loin de pouvoir imaginer ce qu’il s’est passé ces deux derniers jours.

Au sujet de la drogue, qui fait partie intégrante du milieu, je pense que sa dangerosité dépend de son utilisation. En effet, elle peut être très dangereuseles grecs utilisaient d’ailleurs le même mot « pharmaka » pour désigner remède et poison. Je suis cependant convaincu qu’une consommation raisonnable ne nuit pas, et peut même ouvrir certaines portes. Chacun est responsable de sa consommation et peut très bien trouver son équilibre en y intégrant des produits. J’aime comparer la drogue à un marteau, qui peut aussi bien aider à la construction d’une maison que casser une boite crânienne…

Tout dépend de l’utilisation que l’usager en fera.

Pour conclure, j’aimerais transmettre tout mon respect à ces gens qui organisent ces événements ouverts à tous, quitte à vivre en marge de la société et à être sans cesse opposés aux forces de l’ordre. Les saisies de matériel et les arrestations se font de plus en plus nombreuses malgré une prise de conscience des risques par les organisateurs et la mise en place de stands de prévention. Un grand merci à vous, continuez sur cette voie de l’autogestion et de l’indépendance, le peuple qui danse sera toujours la pour vous soutenir.

RAVE ON !

>> UN RA(Ê)VEUR ALSACIEN <<

> La consommation de drogues peut-être dangereuse pour la santé <

Faites attention à vous <3