« C’est vrai que dernièrement, on en entend de belles sur le quartier… » Marc Philibert le constate, depuis quelques années le quartier Esplanade est de plus en plus mal perçu, qualifié au mieux de ghetto étudiant étendu, au pire de petite cité austère. En cause, un bâti datant des années 60-70 où sévissait la passion du béton et une médiatisation aussi malheureuse que sélective. Pourtant, le directeur de l’association des résidents l’affirme, il y a du beau dans le bâti et la vie du quartier Esplanade. À se demander s’il est mal perçu, ou mal connu. Rencontre et série photo réalisée sur pellicule (pour l’amour du grain).
Immeubles, mais aussi espaces verts et tramway : bienvenue à l’Esplanade
Derrière le bureau de Marc Philibert, situé au dernier étage du centre socio-culturel de l’Esplanade, une fenêtre horizontale offre un panorama sans pareil sur les tours blanches du quartier. « Ah non, on n’a pas de tours à l’Esplanade, on a des immeubles », corrige le directeur à la fois de l’ARES et du CSC. Première leçon : une tour c’est un immeuble d’habitation dépassant les cinquante mètres et effectivement, on n’a pas ça à l’Esplanade… Même si on en aurait bien voulu : « Dans les années 60, on rêvait de mégalopole à l’américaine. Il faut savoir qu’à l’origine le projet comportait d’immenses tours de 60, 80 étages. » Créée en 1964, c’est l’association des résidents du quartier (l’ARES, donc) qui militera activement pour que les tours n’excèdent pas une dizaine d’étages parce qu’au-delà, « c’est très difficilement compatible avec la notion de vivre-ensemble que l’association défend depuis sa création ». À la place l’architecte-urbaniste Stoskopf imaginera, entre les restes de l’ancienne citadelle de Strasbourg et le quartier de la Krutenau, un ensemble résidentiel… Plutôt luxueux, pour l’époque : « Esplanade ce n’est pas une ZUP, c’est même un ensemble résidentiel de luxe à l’origine, avec 70% de logements dans le parc privé contre seulement 30% dans le public. C’était très spacieux pour l’époque. En 65-75, des halls décorés avec de la faïence, des ascenseurs grands comme un studio, c’était privilégié. »
À l’origine, un ensemble résidentiel plutôt luxueux, en témoignent les halls d’immeubles
Tours ou pas tours, le quartier Esplanade bénéficie néanmoins d’un traitement médiatique similaires à celui réservé aux cités… Agression à la barre de fer sur le campus, arrestation d’un proche de terroriste près de l’Observatoire ou voitures brûlées lors des fêtes de fin d’année : en 2018, l’actualité n’a pas été tendre avec le quartier. « Et c’est sans parler du deal ! [rires] », plaisante Marc Philibert qui loin de nier les problématiques apporte des éléments de réponse. « Le deal ce n’est pas récent, ça a toujours existé. Ce n’est pas le quartier ça, c’est l’université, qui constitue un marché de choix. Quant aux faits divers, c’est un concours de circonstances. À proximité du campus, la population est plus jeune, or on le sait ce sont les premières victimes de la radicalisation terroriste ! Et puis le quartier a connu un turnover important. » Car il faut bien le reconnaître, l’Esplanade d’hier n’est plus tout à fait celle d’aujourd’hui, pour une raison très simple : la population privilégiée, donc forcément un peu âgée, d’il y a une cinquantaine d’années a trépassé. « Entre temps, on est aussi revenus du tout-béton parce que ce type de bâti a assez mal vieilli. Ça fissure et ce n’est pas très bien isolé… » Entre les décès et la dépréciation de l’immobilier, l’Esplanade s’est vidée de sa population initiale, « un modèle de mixité » pour Marc Philibert, dernièrement remplacée par une population majoritairement pauvre. « Et le problème ce n’est pas le niveau de vie des gens, c’est cette notion d’exclusivité. L’entre-soi, entre riches ou entre pauvres, ce n’est jamais bon. »
Le seul vrai point noir du quartier : le centre commercial
« Il y a des petits ilots de tension, mais dont les causes sont connues, et ce sont les mêmes qu’ailleurs ! » Loin de faire grand cas de l’image d’Esplanade, Marc Philibert continue d’en défendre la réalité. Pour lui, celle d’un quartier agréable entouré d’espaces verts et traversé par le tram où l’on trouve plus ou moins tous les services de proximité nécessaires… Dont le centre commercial de la discorde : « C’est le seul vrai point noir du quartier – et quand je dis point noir, je veux dire tumeur ! » Construit sans rapport avec l’architecture des autres centres commerciaux strasbourgeois de la même époque, celui de l’Esplanade dispose d’une longue galerie extérieure (couverte quoiqu’ouverte), dont les piliers colorés marquent les différents commerces… Ou du moins ceux qui restent : « La galerie est à l’abandon depuis une trentaine d’années. La majorité des rideaux sont fermés, il y a des fientes d’oiseaux partout, et parmi les derniers commerces ouverts on n’a plus que de la fast-food ! » Difficile, sur cette base, d’attirer la population des autres quartiers autour d’un bon repas (une offre, on le sait bien chez Pokaa, qui a le pouvoir de faire se déplacer les strasbourgeois !).
Un ensemble résidentiel encore un brin luxueux si on sait où regarder
« Dernièrement c’est vrai que le quartier s’en prend plein la figure ; nous on n’en fait pas un problème de cette image, on travaille pour le quartier, et ceux qui font l’effort de venir le vivre le voient clairement… » Plus qu’un ghetto étudiant étendu ou une petite cité austère, le quartier Esplanade s’impose comme un ensemble résidentiel hier luxueux et aujourd’hui confortable pour les salaires et retraites modestes. Services de proximité et tramway, cadre arboré et parc classé, au quotidien l’Esplanade n’a rien à envier à d’autres quartiers en terme de praticité, et si son architecture brutaliste s’est avérée peu fonctionnelle sur la durée, elle reste un régal à photographier ; surtout quand on a grandi en bord de mer : l’ensemble blanc ponctué de stores colorés rappelle alors une station balnéaire.
Comme quoi, on voit ce qu’on veut voir.
Alors pourquoi ne pas voir, l’espace d’un instant, l’Esplanade joliment – ou au moins autrement ?
LA SÉRIE PHOTO
Pour plus de photos du même genre, c’est par ici : instagram.com/strasbourgeon
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