Les pires endroits d’exécutions de Strasbourg

Malgré la rentrée qui approche, l’été continue son petit bonhomme de chemin. Il fait (globalement) beau, les terrasses sont remplies de gens qui boivent et passent du bon temps. Il y a des gens dans les rues de la ville, des gens dans les parcs, des gens qui font du sport en plein air… C’est donc le moment parfait pour parler des endroits où ON A TUÉ LE PLUS DE GENS à Strasbourg.

Eh oui, notre ville n’a pas toujours été si agréable. J’ai sélectionné pour vous 4 lieux et moments qui ne devrait pas vous donner le sourire :

Le massacre des Juifs, le 14 février 1349

Nous sommes au début de l’an de grâce 1349. Les premiers signes de la peste noire viennent de se manifester dans la ville de Bâle toute proche. La population a peur. Immédiatement, les Strasbourgeois accusent les Juifs d’être responsables de ce nouveau mal, un peu parce que c’est toujours la faute des Juifs à l’époque, mais surtout car les juifs étaient les seuls banquiers du moyen-âge, et tuer son banquier vous libérait de la dette contractée auprès de lui.

Imaginez : vous empruntez de quoi acheter votre maison à un banquier juif le 13 février 1349 et le 14, vous accusez le même banquier et toute sa famille de propager volontairement une maladie inconnue. A cause de vous il finit sur le bûcher, en revanche vous avez eu votre maison sans même avoir à rembourser le prêt… Facile d’imaginer pourquoi tant de gens qui s’étaient endettés auprès de banquiers juifs ont soudainement eut l’envie d’accuser la population juive de la ville d’être à l’origine du mal… C’est ainsi que la foule et les institutions de Strasbourg de l’époque dressent un gigantesque bucher là où se trouve aujourd’hui l’Hôtel du Préfet, quai Lezay-Marnesia. Pour brûler les soi-disant responsables et ainsi éviter que Strasbourg soit touchée par ce fléau de nature inconnue, les autorités, dans leur grande clémence, ont quand même proposé aux juifs de se convertir au christianisme et ainsi d’échapper aux flammes. Dans cette idée, on a même arraché de force les enfants aux parents, juste avant le bucher, pour les convertir.

Et c’est ainsi que 2000 juifs (principalement des adultes qui ne voulaient pas renoncer à leur foi) furent brûlés vif le jour de la Saint-Valentin, le 14 février 1349. Bien évidemment, quelques semaines plus tard, la peste arrive à Strasbourg et tue environ 50% de la population de la ville et de toute l’Europe d’ailleurs.

Le lieu du bûcher en 2018

Le pont des corbeaux

Ce pont, situé entre la Grande île et le quartier de la place d’Austerlitz, est célèbre surtout pour la partie de l’Ill qu’il enjambe. En effet, à cet endroit au moyen-âge, il y avait le débouché d’un des seuls égouts de la ville, qui charriait un mini cours d’eau fort sympathique composé quasi uniquement de déjections humaines et de matières fécales. Rajoutez à cela que l’abattoir de la ville se trouvait à l’époque juste à côté (c’est aujourd’hui le musée historique de la ville de Strasbourg). Les bouchers y déversaient au même endroit tous les intestins et boyaux des vaches et autres herbivores qu’ils y abattaient. Miam.

C’est donc dans cette joyeuse soupe qu’on plongeait les condamnés grâce à une sorte de passoire faite d’un filet de grosses cordes. Plus leur crime était grave, plus ils restaient longtemps dans le fleuve. En cas de crime lourd comme l’infanticide, on plongeait puis on sortait le condamné de l’eau à répétition pendant plusieurs heures, jusqu’à ce qu’il se noie dans la rivière… Tout cela sous le regard d’une foule toujours nombreuse devant ce qui était un des grands spectacles de l’époque.

Sur cette gravure on peut voir le « Schandkorb » ou panier de la honte en français. Ainsi que la sortie du fameux égout recouvert de deux planches de bois. Au loin : la tour de l’entrée du canal de la Krutenau source : DNA

Le pont du corbeau est aussi connu pour être le lieu d’assassinat des sorcières à Strasbourg. Et ce que l’on peut dire, c’est qu’il en fallait peu pour être traité de sorcière. Par exemple, avoir 30 ans et n’être ni mariée ni au couvent pouvait suffire à être la victime d’une accusation de sorcellerie sans preuves et pouvait amener une femme innocente à finir noyée dans l’Ill. L’histoire raconte que lorsqu’une « sorcière » était condamnée, on la mettait dans un grand sac de toile dont on cousait la fermeture pour l’empêcher de sortir. On jetait ensuite le sac avec la malheureuse à l’intérieur dans l’eau, toujours à la sortie de ce fameux égout. A partir de là, deux options s’offraient à elle :

1. Si elle parvenait à s’échapper du sac et à nager jusqu’au bord de la rivière, c’était la preuve formelle qu’elle était une vraie sorcière, donc on la tuait sur le champ sans la laisser reprendre son souffle.
2. Si la condamnée se noyait dans son sac et coulait à pic, c’était la preuve formelle qu’elle était innocente. Mais ce n’était pas grave car elle était automatiquement sauvée par dieu et avait droit à un aller simple pour le paradis et la vie après la mort.

Quelle belle logique, vous ne trouvez pas ?

Les pendus de la porte de Cronenbourg

En venant de l’ouest (donc de Paris) il fallait emprunter la porte de Cronenbourg (aussi appelée porte de Saverne) pour entrer à Strasbourg. Juste avant de pénétrer en ville on pouvait assister à un spectacle bien gore : une potence pleine de pendus. On accrochait autour de leur cou une pancarte qui disait pour quelle raison ils avaient été pendus. C’était d’ailleurs dans la majorité des cas pour vol.

C’est le lieu où il y eu le plus d’exécutions capitales à Strasbourg. Tout simplement car il fut en fonctionnement pendant quasiment 500 ans. Depuis le haut moyen-âge jusqu’au XVe siècle. Le principe ? Très simple : on pendait les condamnés haut et court sur un gibet constitué de troncs d’arbre joints entre eux par une poutre. Ce qui permettait de pendre plusieurs condamnés en même temps. On laissait ainsi les corps sur le gibet jusqu’à ce que leurs cadavres se décomposent entièrement et tombent au sol. Ce gibet était toute l’année survolé et fréquenté par des dizaines de corbeaux noirs. Difficile de dire combien de personnes ont trouvé la mort pendant que ce lieu était en fonctionnement mais on peut estimer qu’entre 500 et 1000 personnes y furent tuées. Les condamnés n’ont pas tous été pendus. Et n’ont pas tous été des voleurs. Comme par exemple en 1356 où une femme avait remis une fillette, en échange d’argent, dans les mains d’un meurtrier-pédophile. La fillette mourut des suites des sévices subis. Cette femme fut retrouvée, puis interrogée/torturée et enfin enterrée vivante au pied du gibet de potence…

L’endroit fut de moins en moins utilisé à mesure que la Renaissance se répandait en Europe mais ce n’est qu’à la Révolution Française que le gibet fut détruit, pour être remplacé par une guillotine…

Sur une de JM Weiss gravure de 1744 sur l’entrée de Louis XV à Strasbourg. On peut y voir le gibet de l’époque et à sa gauche la croix des bannis.

Imaginez un instant : Vous arrivez de Paris par le col de Saverne en 1642. Vous avez marché toute une journée sous le soleil pour aller vendre vos produits sur le marché de Strasbourg. De très loin, vous apercevez déjà l’unique tour de la cathédrale et soudain vous voyez des dizaines de corbeaux voler plus ou moins en cercle autour d’un amas de bois. Vous vous approchez encore par un chemin poussiéreux et vous le voyez. Une grande poutre est fixée à 3 mètres de hauteur où 5 pendus sont accrochés, certains depuis plusieurs mois. Vous en regardez un en particulier, il ne lui reste plus que la cage thoracique, elle est recouverte de quelques bouts de peaux et d’habits, sa tête est toujours accrochée à la corde. Le reste est déjà tombé au sol. Autour de son cou vous parvenez à déchiffrer sur un panneau de bois défraichi » Morts aux voleurs ». Par terre des centaines d’os de toutes les tailles jonchent le sol. Un corbeau noir charbon est en train de picorer de la moelle osseuse dans un fémur humain. Soudain l’oiseau tourne la tête vers vous, vous avez l’impression qu’il vous regarde en vous disant « c’est toi le prochain ». Il y a largement de quoi dissuader ceux qui projetaient de voler à Strasbourg, vous ne trouvez pas ?

L’emplacement du gibet en 2018 :

Il se situait au croisement de la rue de Mittelhausbergen et d’Oberhausbergen, entre l’arrêt Rotonde et la caserne de pompiers de Cronenbourg.

La place Kléber pendant la Révolution Française

Depuis septembre 1793 le gouvernement de la « terreur » plonge la France la tête la première dans le sang. A Paris, un député du nom de Pierre Guyomar déclare devant l’assemblée du peuple Français « que la tête des traîtres tombe,… il est seulement à regretter qu’on ne puisse les guillotiner deux fois. » Grosse ambiance…

Pendant ce temps-là à Strasbourg, la guerre fait rage non loin de la frontière, les jacobins prennent le pouvoir et ouvrent le 25 octobre 1793 le tribunal révolutionnaire de Strasbourg. Ce tribunal exceptionnel est présidé par Charles Taffin, un ancien prêtre de Moselle qui a renoncé aux ordres. Il se réunissait dans l’ancien hôtel du département au 16 rue de la nuée Bleue, pas loin de la place Broglie.

Sur les 321 personnes jugées 16% ont été acquittés, 66% ont reçu des amendes, 9 % ont reçu des peines de prison et/ou des humiliations publiques et 9% ont été guillotinés, soit 31 personnes. Si le condamné était déclaré coupable et que la sentence retenue était la mort, le condamné était conduit à la place d’armes (aujourd’hui place Kléber) où la guillotine était dressée durant les 6 semaines qu’a duré ce terrifiant tribunal.

Pour l’anecdote, un des guillotinés s’appelait Gabriel Engel et il était vigneron à Scherwiller. Il a été décapité suite aux propos antirévolutionnaires qu’il avait tenu dans une taverne à l’été 1793. Il avait déclaré la chose suivante : » Si les Prussiens arrivent, je sacrifierais volontiers douze à vingt-quatre mesures de vin ». En résumé : il a fini la tête dans un sac pour avoir dit » Tournée générale si les Allemands gagnent »
Gabi a payé chère cette petite phrase…

L’ancienne maison d’arrêt de la rue du fil (entre la place Broglie et le tribunal)

La prison de la rue du fil était la plus terrible du Strasbourg du XIXe siècle. C’est là que les prisonniers attendaient leur jugement et étaient amenés à pieds (eh oui !) vers le tribunal situé à 200 mètres de là.

L’ancienne prison a été détruite dans les années 1990 et remplacée par le gymnase Schoepflin. La guillotine se trouvait à peu près là où on peut aujourd’hui, jouer au basket…

Des dizaines d’exécutions capitales ont eu lieu dans cet endroit entre le milieu du XIXe siècle et 1937, l’année de la dernière exécution capitale à Strasbourg. Cette dernière est la plus célèbre.

Dans la nuit du 8 mai 1937, Lucien Sittler, qui croyait encore à la grâce présidentielle, est réveillé brusquement par les gardiens qui lui annoncent que la grâce lui a été refusé et qu’il sera exécuté dans l’heure. Ce jeune SDF de 21 ans s’est rendu coupable d’un crime d’une rare violence, il a en effet tué à la hache un père de famille sous les yeux de sa femme et de ses 6 enfants pour lui voler son allocation chômage… L’arme et le corps ont été retrouvés et il y avait des témoins oculaires… Facile d’imaginer qu’en ce 8 mai 1937, les gardiens ne se gênent pas pour lui ligoter les mains et le sortir du lit. Il recevra quand même du rhum et une cigarette pour « le réconforter » et c’est avec cette cigarette toujours aux lèvres, sans avoir dit un mot qu’il passera sous la lame de la justice à 4h28 du matin. Juste devant la Prison Rue de la fonderie.

Ci-dessus le fourgon faussement rigolo du bourreau professionnel Anatole Deibler contenant « les bois de la justice » et la photo de Lucien Sittler. Pour Info le bourreau Deibler a été en charge directement de 395 exécutions en Alsace et ses alentours entre 1885 et 1939. Un sacré métier ! Source : DNA

On s’arrête ici pour le tour des lieux d’exécutions de Strasbourg. Je tiens à dire qu’il y en a eu plein d’autres au cours de l’Histoire, j’ai simplement choisi de concentrer mon propos sur ceux que je trouve les plus « intéressants ». J’espère sincèrement qu’après avoir lu tout ça, vous trouverez notre époque plutôt sympathique malgré tout ! Allez, bonne fin de week-end quand même !

>> ANTOINE WEBER <<